Que peut saisir le créancier titulaire d’une créance non fiscale lorsque le(s) débiteur(s) est/sont marié(s) sous le régime de la communauté légale ?

 

Il appartient au juge des saisies de déterminer si la saisie porte sur des biens qui répondent des dettes du/des débiteur(s). Cette question est indépendante de l’identité du débiteur reprise sur le titre exécutoire. Face à un débiteur marié sous le régime de la communauté, l’étendue des droits d’exécution est fonction de la nature de la dette : commune ou propre. Cette qualification est de la compétence du juge des saisies.

1. Recouvrement d’une dette commune
Pendant le mariage, le recouvrement d’une dette commune contractée par un des époux peut se faire sur les trois patrimoines, au choix du créancier sous réserve de l’abus de droit, exception faite des dettes communes dites imparfaites (art. 1414, al. 2, C. civ.) où seuls le patrimoine propre de l’époux contractant et le patrimoine commun, en ce compris les revenus de l’époux non contractant, peuvent être saisis.
Si le créancier entend recouvrer son dû sur le patrimoine propre de l’époux non contractant, le créancier saisissant doit diligenter sa procédure d’exécution à charge de l’époux non contractant, lequel pourra postuler des termes et délais, même si le titre qui fonde la procédure d’exécution est un jugement, puisqu’il n’est pas partie à ce jugement. Si le créancier entend recouvrer son dû sur le patrimoine commun, la procédure d’exécution doit être diligentée à charge de l’époux contractant, mais l’époux non débiteur doit être informé, par signification, de l’existence de la procédure d’exécution.
Ce n’est que si le bien saisi est un immeuble que la procédure d’exécution se fait à charge des deux époux en application de l’article 1562 du Code judiciaire : tous les actes de poursuite devront être signifiés aux deux époux. Et qu’en est-il s’il s’agit de recouvrer une dette commune contractée par les époux ? Si les époux sont débiteurs solidaires, le recouvrement se fait à charge des trois patrimoines. Si les époux se sont engagés conjointement, mais sans solidarité, en principe, chacun ne peut être condamné qu’à la moitié de la dette recouvrable. Le recouvrement de cette dette peut se réaliser sur les trois patrimoines. Malgré le principe de la divisibilité des dettes, parfois, le créancier dispose d’un jugement condamnant un des époux pour le tout. L’époux non repris dans le jugement pourra s’opposer à la saisie de son patrimoine et à la saisie du patrimoine commun si le montant à concurrence duquel la saisie est pratiquée dépasse la participation de son conjoint. Si le juge des saisies fait droit à cette opposition, il ne viole pas l’autorité de chose jugée, car, ainsi que dit ci-dessus, la question posée au juge des saisies n’est pas de savoir qui est débiteur, mais de savoir sur quels biens le créancier peut faire pratiquer une saisie.

2. Recouvrement de dettes propres
Le recouvrement des dettes propres ne peut se faire que sur le patrimoine propre de l’époux débiteur et sur ses revenus (art. 1409 C. civ.) pourvu qu’ils soient encore individualisables, soit en pratique avant leur versement. Il ne peut y avoir de recouvrement forcé sur la communauté, sauf en cas d’enrichissement du patrimoine commun (art. 1410 et 1411 C. civ.) où la communauté peut être poursuivie à concurrence de l’enrichissement, et en cas de recouvrement de condamnations pénales ou de délits ou de quasi-délits commis par un époux où, si le patrimoine propre est insuffisant, le recouvrement pourra se faire à concurrence de la moitié de l’actif net de la communauté (art. 1412 C. civ.). Il appartient à l’époux non débiteur d’indiquer les biens propres de son conjoint sur lesquels la saisie pourrait être pratiquée.
De cette déclaration découlera la preuve de l’insuffisance ou non du patrimoine propre de l’époux débiteur. Un inventaire sera ordonné par le juge des saisies, ce qui permettra de déterminer l’actif net de la communauté.

3. En cas de règlement collectif de dettes
En quoi les assiettes saisissables déterminées aux points 1 et 2 sont-elles impactées lorsqu’un époux ou les deux sont en règlement collectif de dettes ? Font partie de la masse tous les biens du médié, les dettes propres et communes du médié, ainsi que ses avoirs et dettes futurs. Si les époux sont en règlement collectif de dettes, il n’y a plus rien de saisissable, car la décision d’admissibilité suspend les voies d’exécution sur la masse. Lorsqu’un seul des époux est admis en règlement collectif de dettes font partie, de la masse active, le patrimoine propre de l’époux requérant et le patrimoine commun, sauf les revenus du conjoint non requérant, et, de la masse passive, les dettes propres de l’époux requérant et les dettes communes.
Aussi, le patrimoine commun ne peut plus être saisi ni par les créanciers de l’époux requérant ni par les créanciers de l’époux non requérant, et les dettes propres de l’époux non requérant peuvent exclusivement être recouvrées sur le patrimoine propre de celui-ci et sur ses revenus. Si les dettes du requérant font l’objet d’une remise de dettes, non seulement le patrimoine propre de l’époux requérant, mais aussi les biens propres de l’autre époux, échappent au recours des créanciers pour le passif impayé.

4. L’un des époux ou les époux sont faillis
En quoi les assiettes saisissables déterminées aux points 1 et 2 ci-dessus sont-elles impactées lorsqu’un des époux ou les époux sont faillis ? Dès lors que la masse de la faillite comprend les biens propres du failli et les biens du patrimoine commun, si les époux sont tous deux faillis, il n’y a plus rien de saisissable. Si un seul des époux est failli, durant la faillite, les créanciers titulaires d’une dette propre de l’époux non failli ne peuvent plus saisir le patrimoine commun. Seules les dettes propres de l’époux non failli sont recouvrables sur son patrimoine propre. Après la clôture de la faillite, si le failli a été déclaré excusable, comme la déclaration d’excusabilité libère le conjoint, le créancier du failli ne peut poursuivre le recouvrement de sa créance non apurée sur le patrimoine propre de l’époux non failli ni sur celui de la communauté.
Cette libération vaut même si le conjoint du failli est personnellement obligé à la dette de son époux, y compris pour les dettes contractées par les époux avant la faillite.

5. L’un des époux en faillite et l’autre en règlement collectif de dettes
En quoi les assiettes saisissables telles que déterminées aux points 1 et 2 ci-dessus sont-elles impactées lorsqu’un des époux est en faillite et l’autre en règlement collectif de dettes ? Les trois patrimoines sont insaisissables. Après la clôture de ces deux procédures, si l’un est déclaré excusable et que l’autre a été au bout de son plan amiable ou judiciaire avec remise de dettes à la clé, plus aucune procédure d’exécution ne pourra être diligentée contre les époux pour les dettes faisant partie de la masse faillie et de la masse constituée par la décision d’admissibilité à la procédure de règlement collectif de dettes. Si l’un des époux ne bénéficie pas d’une remise de dettes, les créanciers pourront à nouveau procéder au recouvrement de leur créance en suivant les règles énoncées aux points 1 et 2.

Conclusion
En conclusion, l’examen de la régularité d’une saisie suppose, lorsqu’un débiteur est marié, que soient examinés le statut civil du débiteur et, s’il y a lieu, son régime matrimonial. Cet examen peut offrir des possibilités au créancier d’un débiteur marié d’étendre « son champ d’action » pour recouvrer son dû et d’éviter au débiteur et/ou à son conjoint d’introduire des actions en revendication qui sont sans réel intérêt.

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